• Partie 3 : Envol

    Un monde noir, sans lune, sans étoiles : une nuit éternelle.

    Lointaine, incertaine, mais éclatante : une petite lumière.

     

    C'est tout ce que je vois.

     

    Je suis seule ici. J'ai beau regarder dans toutes les directions, je ne vois que du noir. J'ai peur. Je cherche la lumière. Elle semble loin mais je me précipite vers elle sans réfléchir. Je cours aussi vite que je le peux, mais j'ai l'impression de faire du surplace. Je commence à m'affoler. Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi suis-je seule ! Je m'élance vers la lumière mais elle s'éloigne à chacun de mes pas. Soudain je trébuche et tombe. La chute est sans fin, je tombe sans pouvoir m'arrêter. Je tombe, je tombe, je tombe...

     

     

     

    • Aile de Pavot !

    Je me réveille en sursaut, et me redresse immédiatement. Poil de Pissenlit est penché sur moi.

    • Ça va Aile de Pavot ? Tu bougeais beaucoup dans ton sommeil

    • Oui... ça va.

    Je regarde autour de moi. Dans la tanière des guerriers, je suis seule avec Poil de Pissenlit. Dehors, le soleil est déjà haut.

    • Bon, alors tu veux partir chasser avec moi ? propose le guerrier. La patrouille n'est pas encore partie.

    • Pourquoi pas...

    Je me lève et fait une petite toilette puis je suis Poil de Pissenlit qui est déjà sorti du camp. C'est étrange de partir seule car j'ai pris l'habitude d'être toujours accompagnée d'un mentor. Je dépasse les buissons qui nous servent de protection mais Poil de Pissenlit a disparu. Je regarde de tous les côtés, pour tenter de l'apercevoir, quand quelqu'un derrière moi me saute dessus en miaulant. Nous roulons dans la poussière sur quelques mètres, puis je me relève. Mon assaillant n'est autre que Poil de Pissenlit. Le chat blond s'assoit en riant.

    • Alors ? Je t'ai fait peur ?

    Je secoue mon pelage pour faire tomber la terre, puis je le plante mon regard dans le sien.

    • Tu sais bien que je ne peux pas avoir peur.

    • Oui, peut être, mais je pensais que... euh... Désolé ?

    Poil de Pissenlit baisse la tête, l'air coupable. Je m'approche en soupirant et je caresse son flanc avec ma queue.

    • Ça va, ne t'inquiète pas pour ça. Bon, on va chasser ?

    • Tu as envie d'aller quelque part ? répond t-il.

    Je réfléchit quelques instants puis je murmure, à moitié pour moi même :

    • Tu te souviens de la source..?

    Poil de Pissenlit se penche vers moi.

    • Qu'est ce que tu as dis ?

    • En fait je pensais à la source que nous avions découverte ensemble, lors d'une expédition hors du territoire.

    • Ah oui ! On y jouait souvent à la saison chaude ! Allons y, ça nous rappellera des souvenirs !

    Poil de Pissenlit sautille sur place en souriant et je le regarde faire silencieusement. J'aimerais bien comprendre ce qu'il ressent parfois. Pourquoi suis-je incapable de ressentir quoi-que-ce-soit ? Ces questions sont bien trop présentes dans ma vie, j'y pense chaque jour sans trouver de réponses et je suis fatiguée de ce petit jeu. C'est une punition de nos ancêtres ? Une malédiction ou une mauvaise blague ? Je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui puisse expliquer ce qui m'arrive et même les anciens n'ont jamais entendu parler de ça. J'aimerai tant avoir des réponses, j'ai l'impression de devenir folle à me répéter les mêmes phrases à chaque fois.. pourquoi ? pourquoi ? pourquoi..

     

    ***

     

    Nous avançons sur le chemin de mousse, serpentant entre les fougères et les arbres. Après quelques minutes, nous arrivons au pied d'un grand rocher, placé à une centaine de mètres de la frontière. Sans hésiter, Poil de Pissenlit et moi nous nous avançons dans cette partie de forêt qui n'appartient à aucun clan. Personne n'y va jamais, car c'est très proche d'une maison de bipède. Mais pendant notre apprentissage, Poil de Pissenlit et moi, on partait en douce du camp, et on allait jouer dans l'eau de la source. C'est une eau claire, fraîche et limpide. Une eau bonne à boire et pure malgré le fait qu'elle soit à coté de la ville et de la pollution.

    • Hé, Aile de Pavot ! On est arrivés !

    La voix de mon camarade me sort de ma rêverie.

    • Aller viens, miaule t-il en se jetant dans l'eau. Elle est super bonne !

    Je trempe ma patte dans l'eau et aussitôt un frisson me traverse. Elle n'est pas aussi bonne que le dit le chat blond.

    • Hmmm.. là c'est plutôt frais.

    • C'est pas grave, aller viens !

    Pour ne pas paraître rabat-joie, j'entre dans le bassin. Le froid me saisi aussitôt : l'onde est glaciale. Je contemple la surface : l'eau est tellement claire et en même temps il est impossible de voir mon reflet car la lumière et l'ombre produisent un éclat multicolore. C'est magnifique.. Soudain, une forme semble apparaître. C'est un félin brun, au pelage grisé par le temps. Ses yeux sont gris avec des nuances de bleu azur et indigo. Je n'ai jamais vu de si belle couleurs.. Le reflet me regarde fixement. Et sans trop savoir ce qu'il se passe, je le laisse m'entraîner dans ses iris outremer, si rassurants, et tellement profonds...

    • Hé, Aile de Pavot ! Aile de Pavot !... … …

     

     

     

    Ma vie est découpée, morcelée... C'est comme si je voyait se qu'il se passait tout en étant hors de mon corps. Que je ne pouvais voir que certains moments de ma vie et que le reste restait flou, inaccessible.

    Surplombant la scène, je me vois. Je suis dans une eau multicolore avec un autre félin.

        Puis l'image change.

    Un chat blanc se penche sur moi. Je sens une odeur de plantes et de menthe fraiche.. un guérisseur ? Il me semble que je le connais, mais je n'arrive pas à me rappeler de son nom.

           L'image change de nouveau.

    Je suis toujours avec le chat blanc. Il me surveille pendant que je dort. Il semble inquiet.

               L'image change encore une fois.

    Un chat brun, au pelage grisé par le temps, avance sur le chemin de la forêt. Sa patte avant droite est couturée de cicatrices. Un sac de bipède est attaché à son dos, et des bâtons sculptés en sortent. Le chat arrive dans une clairière entourée de tanières. Des chats en sortent et s'approchent de lui, méfiants. Sans un bruit, il sort un de ses bâtons. Celui-ci est presque noir et des marques bleues s'en détachent. L'étranger commence à dessiner dans le sable de la combe. Il trace des cercles, des trais, des marques qui ne veulent rien dire pour moi. Un nuage passe devant le soleil. Le ciel s'assombrit. De la fumée s'échappe des symboles faits par le voyageur. La fumée m'entoure, m'étouffe, m'aveugle.. Puis une lumière éclatante... et-

     

    J'ouvre les yeux avec peine. Tout est flou : la lumière du soleil est trop forte ce matin. Je me retourne dans ma litière puis je tends l'oreille pour savoir ce qui se passe autour. Mais, chose étonnante, je n'entends rien. Intriguée, je relève la tête et une chaleur s'engouffre en moi. Une chaleur telle que... je...

    J'ouvre les yeux avec peine. Tout est flou : la lumière du soleil est trop forte ce matin. Je me retourne dans ma litière en grommelant, clignant plusieurs fois des yeux pour m'habituer au jour.

    • Viens.

    • Poil de Pissenlit, arrête de me réveiller toujours trop tôt...

    • Viens.

    • Poil de Pissenlit, tu m'agaces.

    Un petit rire moqueur puis plus rien. Poil de Pissenlit est pénible avec ce jeu idiot et cette fois, je me lève vraiment.

    • Quoi !

    Après avoir crié, ma colère est retombée d'un coup. J'ai cru que mon camarade était venu m'embêter, mais il n'y a personne dans la tanière. D'ailleurs, je suis dans l'antre du guérisseur.. qu'est ce que je fais là ? Sans m'en inquiéter plus que ça, je regarde dehors. Le soleil est déjà haut, il éclaire la forêt d'une chaude lumière. Un petit courant d'air pénètre dans la tanière.. c'est agréable. Contente que cette journée commence bien, je sors en souriant légèrement. Dans la clairière, tout le monde s'était rassemblé autour du chef et d'un chat qui m'est inconnu. J'essaie de m'approcher, curieuse, mais tout le monde me bloque je passage : peu importe, je me dirige vers deux de mes camarades.

    • Plume de Lin ! Feuille de Chêne !

    Les deux intéressés se retournent et me dévisagent.

    • Aile de Pavot, c'est toi ? demande Feuille de Chêne.

    • Oui, pourquoi ?

    • Heu... p-pour rien. C'est juste que tu...

    Plume de Lin et Feuille de Chêne échangent un regard étonné. Je penche la tête : moi aussi je suis étonnée, pourquoi cette question ? Ils ne m'ont pas reconnue ? Je chasse cette idée stupide, bien sûr qu'ils m'ont reconnue, ils ne doivent pas être bien réveillés, c'est tout.

    • La patrouille frontalière du matin est partie ? je demande.

    • Heu... Non, je ne crois pas.

    • Bien, alors allons-y !

    Je sort du camp d'un pas léger, humant l'air aux merveilleuses odeurs forestières. Mes camarades, toujours désorientés, me suivent. Nous patrouillons sur la frontière qui nous sépare du Clan du Cyprès et tout se passe sans encombre. Puis je laisse Plume de Lin et Feuille de Chêne rentrer faire le rapport à Etoile Céleste pendant que je suis la trace d'un mulot que j'attrape sans problème. De retour au camp, il est déjà midi. Je repère Poil de Pissenlit qui discute avec Œil de Soleil, son père. Celui-ci se retire, signifiant que la discussion est finie, alors Poil de Pissenlit s'approche de moi.

    • Aile de Pavot, c'est vrai que.. tu...

    • Oui ?

    • Tu es différente aujourd'hui, Plume de Lin et Feuille de Chêne m'ont dit que.. Enfin, il c'est passé quelque chose ?

    Je suis surprise que tout le monde me trouve bizarre. Je n'ai pourtant rien fait de particulier : j'ai participé aux activités du clan comme un chasseur normal.

    • Non il ne s'est rien passé. J'ai mené la patrouille, j'ai un peu chassé, c'est tout.

    • Ah, d'accord.

    • Bon ! On va manger ? Je meurt de faim !

    En disant cela, je trottine vers le tas de gibier. Poil de Pissenlit me regarde d'un drôle d'air avant de courir vers moi. Je me retourne en souriant, un lièvre entre les pattes.

    • Celui là a l'air bien, on partage ?

    • Oui... s-si tu veux.

    Le chat blond se couche à côté de moi. Je prend une bouchée du lapin et Poil de Pissenlit m'imite.

    • C'est délicieux ! dis-je.

    • C'est vrai ! On fait quoi après ?

    Je réfléchis quelques secondes.

    • Hum, je crois que Plume... oh pardon, Étoile Céleste, a demandé aux apprentis de changer les litières des anciens. On pourrait les aider.

    Mon camarade ne répondis pas tout de suite. Il prend le temps de mâcher puis me regarde en souriant. 

    • D'accord ! Ça ira plus vite à plusieurs.

    • Alors allons y !

    Je passe ma patte sur mon museau pour enlever le sang de lapin pendant que Poil de Pissenlit se lève et se dirige vers la tanière des apprentis. Il passe la tête à l'intérieur et les appelle.

    • Nuage de Prune, Nuage de Lait, venez.

    Deux petites chattes, l'une d'un noir violacé et l'autre d'un blanc crémeux, en sortent.

    • Qu'est ce que vous voulez ? demande Nuage de Lait en nous regardant de ses yeux vermeils.

    • Il me semble que vous devez changer la litière des anciens, non ?

    • Oui, répond Nuage de Prune.

    Je devance Poil de Pissenlit en m'exclamant :

    • Alors on va vous aider. Venez ça sera vite fini !

    Puis je suis mon ami vers le gite des anciens en sautillant, pleine d'énergie et d'envie d'aider le clan.

    • C'est Aile de Pavot ça ? chuchote Nuage de Lait à sa sœur.

    Celle-ci se penche vers la chatte blanche.

    • Je pense que oui, mais elle est bizarre aujourd'hui...

     

    ***

     

    L'après midi passe très vite et dans la bonne humeur. Aile de Pavot plaisante avec les anciens et Nuage de Lait. Nuage de Prune, plus en retrait, se contente d'observer avec ses grands yeux violets. Une fois les corvées terminées, Poil de Pissenlit propose à son amie d'aller chasser. Celle-ci accepte et les deux guerriers rentrent avec énormément de proies. Étoile Céleste, qui a observé Aile de Pavot et qui s'est entretenue avec le voyageur errant, organise un festin pour le soir. Chacun mange à sa faim, les apprentis s'amusent à mimer les exploits de leurs ancêtres et les anciens partagent des légendes.

     

    A la fin de la soirée, Poil de Pissenlit entraîne Aile de Pavot dans la forêt. Ils courent longtemps, sentant le vent les porter d'un bout à l'autre de la forêt, et ne s'arrêtent que quand ils se sont très éloignés du camp. Là, tout est calme, seuls leur respiration précipitée et leurs rires essoufflés viennent troubler le silence. La demi lune éclaire le sol, les lucioles dansent, et les criquets chantent. Deux chats s'allongent l'un contre l'autre sur un lit de mousse. On ne peut pas les distinguer car leurs pelages, argentés sous la lune, se confondent dans les ombres. L'un commence à faire la toilette de l'autre. Puis ils s'endorment doucement en souriant. En fermant les yeux, Aile de Pavot se sent plus heureuse que jamais. Elle pose sa tête contre le flanc de Poil de Pissenlit et cale sa respiration sur la sienne.

    Elle sens bien que ce sommeil sera éternel mais elle chasse la tristesse de son esprit. Au moins pour une journée, elle a eu tout ce dont elle a rêvé. Pour ce qui lui semble être la première fois, elle s'endort contre                                                                                                                               son compagnon.


  • Commentaires

    1
    Lundi 16 Avril 2018 à 00:07

    Je sait que cette fin c'st fait attendre, mais j'ai beaucoup travaillé dessus. J'espère qu'elle vous plaira. ^^

    2
    Vendredi 4 Mai 2018 à 07:50

    Tu écrit trop bien ! Comment tu faits pour trouver l'inspiration pour écrire un truc aussi grand ?

    3
    Vendredi 4 Mai 2018 à 17:53

    Merci. Heu, en fait j'écris depuis très longtemps, et pas que de petites histoires. Mais il y a aussi le fait que, quand je créer un personnage, avec son caractère, son apparence et le reste, son histoire me vient automatiquement. C'est assez difficile à expliquer. Il y a certains personnages que j'aime plus que d'autres, et ceux là, j'ai envie de travailler avec eux plus longtemps...

    C'est assez clair...? ouch

    4
    Vendredi 4 Mai 2018 à 19:16

    Oui merci !

    5
    Izmir du RDL
    Dimanche 3 Juin 2018 à 12:11

    Salut. C'est exprès le "son compagnon" décalé à la fin ?

    6
    Dimanche 3 Juin 2018 à 14:43

    Oui. J'aime bien jouer avec l'espace entre les mots. Surtout dans ce genre d'histoire.

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    7
    Vendredi 14 Septembre 2018 à 17:57

    Je ne me lasse pas de relire ton histoire. Elle est tellement bien !

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :